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Grugno

28 avril 2006

La mobilité des Québécois

Une analyse même hâtive de l'histoire de la population canadienne-française ne peut pas ne pas montrer la puissance des mouvements migratoires dans cette collectivité relativement minuscule.
Rencontres Paris et Rencontres France
L'historiographie de la Nouvelle-France, qu'elle le constate ou le déplore, s'entend pour insister sur le phénomène des déplacements, à l'échelle continentale, d'une proportion élevée de la population. Les gains prodigieux de la traite des fourrures expliqueraient ces migrations saisonnières (un an ou deux) des jeunes et leur dédain pour le travail sédentaire et régulier et surtout pour le travail agricole. L'attrait de la fourrure n'explique pas entièrement la mobilité du Français en terre américaine; nous le verrons plus loin. Et les historiens nous présentent, à l'envi, les preuves de cet engouement aux répercussions sociales importantes: les remontrances des missionnaires, inquiets de la mauvaise influence des trafiquants immoraux qui utilisent l'alcool comme objet de troc; la correspondance embarrassée des administrateurs (gouverneurs et intendants), soucieux officiellement d'implantation et de colonisation, et non de dispersion et de commerce plus ou moins régularisé, mais en même temps intéressés à l'expansion territoriale; les plaintes des seigneurs propriétaires, perplexes devant la quasi-désertion des colons et les lents progrès de l'agriculture dans des lots à peine cultivés. L'historiographie traditionnelle insistait sur les deux composantes essentielles de l'implantation française en terre d'Amérique: l'évangélisation et la colonisation agricole. L'historiographie contemporaine nous présente une colonie avant tout commerciale parce que pratiquement aux mains des compagnies beaucoup plus intéressées aux profits d'une colonie pourvoyeuse de sa population. Un point demeure constant; une poignée de Français (70 000 environ, en 1760), peu grossie par l'immigration, se trouve dispersée sur tout un continent, de l'Acadie aux Rocheuses et de la mer d'Hudson à la Louisiane. Un fort noyau est ancré dans la plaine laurentienne; le reste est formé de petits groupes ou d'individus isolés. La mainmise sur les possessions françaises par l'Angleterre n'arrête pas pour autant la mobilité. La fourrure et l'aventure attirent toujours et les Canadiens français sont reconnus comme les meilleurs traiteurs par leur longue familiarité avec le milieu physique et avec les Amérindiens.
Rencontres Nantes et Rencontres Bruxelles
L' émigration spontanée continue dans les décennies suivantes et, au XIXe siècle, elle s'effectue vers ce qu'on appelait les Pays d'en Haut et vers les États-Unis. A partir de 1840 environ, diverses raisons incitent un plus grand nombre à franchir les frontières. L'émigration spontanée se transforme en émigration forcée. Pour la plupart des partants, il y a désir de retour et absence de conscience frontalière: en Nouvelle-Angleterre, le même encadrement socio-religieux accueille les émigrants. On retrouve les même formes culturelles rassurantes dans un milieu différent. Mais les retours se font rares. Cette émigration en réjouit certains qui la considèrent comme une expansion, et prend une ampleur qui finit par inquiéter la majorité de l'élite. La disparition devient exode, expatriation définitive. Les Cantons de l'Est, à peine peuplés, se dépeuplent en faveur surtout du Massachussets et du New Hampshire; des défricheurs deviennent employés dans les « facteries » de coton . La plaine de Montréal n'échappe pas à l'attirance des états du Sud (à Lacolle, 95 % des familles auraient participé à l'émigration). Mais c'est aussi toutes les paroisses du Québec qui fournissent leur contingent au départ : les villages du bord du Saint-Laurent et ceux du pied des Laurentides.
Rencontres Bordeaux ou Rencontres Lille
Le Bas-du-Fleuve et les régions plus au sud ne sont pas épargnés. La Gaspésie et le Lac St-Jean, pourtant nouvellement ouverts à la colonisation, ne retiennent pas davantage les migrants. La partance a d'autres motivations que la terre. Des calculs permettent quelques données. Entre 1861 et 1931, 70 000 personnes quittent les régions de la base des Laurentides (plus du tiers de la population) ; les Cantons de l'Est perdent 100 000 Canadiens français en un siècle. L'évaluation totale donnerait plus de 700 000 départs.
Rencontres Lyon et Rencontres Nice
Cette mobilité géographique est encouragée par certains notables ; elle s'exerce pourtant en plein territoire anglo-saxon protestant déjà densément peuplé et structuré d'une solide tradition. L'émigration vers la Nouvelle-Angleterre commence discrètement et n'est pas perçue comme définitive. Si elle est sans retour, du moins existe-t-il une structure d'accueil et d'encadrement : la paroisse. Mais le mouvement amorcé d'abord et surtout par la surpopulation des seigneuries (les fils non héritiers du fonds paternel), prend de l'ampleur, les villes du Bas-Canada trop peu industrialisées ne pouvant éponger le trop-plein de cette main-d'œuvre en quête d'emploi salarié. Les migrants quittent la terre pour revenir et acheter un lot, ou vivent plus ou moins bien du rural à l'urbain dans un système capitaliste en pleine croissance. C'est ce que nous appelons l'expansion forcée.
Rencontres Marseille ou Rencontres Toulouse
Les stratégies adoptives proposées et effectivement appliquées (organisation de paroisses canadiennes-françaises, encadrements des émigrants par l'envoi de curés, rationalisation des discours des sociétés Saint-Jean Baptiste, etc.) furent assez efficaces pour effrayer un temps les Yankees eux-mêmes. On se vantait des deux côtés de la frontière de pouvoir bientôt former une nouvelle province de Québec, tant l'effectif des travailleurs québécois était important. Des paroisses, des quartiers entiers, dans les villes manufacturières, appartenaient aux francophones catholiques. Le nombre des partants canadiens-français grossissait, pour certains, l'in-group québécois à l'extérieur des frontières canadiennes. D'autres s'en alarmèrent. Le départ devenait exode, surtout dans le dernier tiers du XIXe siècle. Les actions de prêtres citées comme exemplaires, qui fondaient des sociétés de colonisation, ou partaient avec des groupes plus ou moins importants, en squatters, qui vers le Saguenay, qui vers la Côte-Nord demeuraient des tentatives isolées, sur un mode mineur. Au Saguenay, d'ailleurs, le prêtre avait été précédé par l'entrepreneur forestier. Des milliers de fils de cultivateurs devenaient des prolétaires urbains au service du capital étranger, risquant, malgré les structures françaises qui les précédaient, de perdre et leur langue et leur religion. Il ne s'agissait plus du coureur de bois, ni du voyageur, ni du bûcheron, mais de l'ouvrier d'usine, un type d'homme que ne valorisèrent jamais ni le folklore ni la littérature. À son retour, aucune auréole d'aventure et de liberté sur son front. Pourtant, lui aussi avait quitté la terre paternelle. Le même opprobre l'avait talonné à son départ, quoiqu'il ait rationalisé sa décision par la volonté d'accumuler une somme d'argent suffisante par un séjour plus ou moins bref. Les retours s'effectuèrent, puis les redéparts, puis des retours plus espacés. Des installations définitives eurent lieu en terre étrangère, mais auprès de concitoyens souvent de la même paroisse ou de la même région. La parenté semble avoir constitué l'infrastructure d'accueil favorisant l'émigration. La famille-souche permet effectivement la mobilité.

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